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Chapitre 8

Poursuite de la colonisation – La France perd la nouvelle colonie aux mains des Britanniques, 18e et 19e siècles

En 1759, les troupes britanniques menées par le général Wolfe vainquent les Français et Montcalm sur les plaines d’Abraham. En 1763, la France, en vertu du traité de Paris, cède la Nouvelle-France à la Grande-Bretagne. Malgré cette victoire, les Britanniques garantissent aux vaincus le droit de demeurer sur le territoire conquis sans danger d’être déportés. Ils peuvent, s’ils le désirent, retourner en France avec toutes leurs possessions. Au Bas-Saint-Laurent, le changement de régime affecte assez peu la population : la colonisation du territoire se poursuit, toujours par une population essentiellement francophone.

Nous nous retrouvons dans la Forge de Saint-Anaclet, bâtiment typique du patrimoine rural construit vers 1885.

L’administration anglaise

Après la défaite française, le roi Georges III de Grande-Bretagne règne maintenant sur ce qui était la Nouvelle-France. Avec sa Proclamation royale du 7 octobre 1763, il crée la Province of Quebec qui englobe le territoire bordant la vallée du Saint-Laurent et occupé par les Canadiens.

La Proclamation royale touche aussi les Autochtones, à qui elle garantit la protection des terres qu’ils habitent :

« Nous déclarons de plus que telle est notre volonté & notre bon plaisir, pour le présent comme ci-dessus, de réserver sous notre Souveraineté, protection & Gouvernement pour l’usage des dits sauvages, toutes les terres ou territoires qui ne sont pas compris dans les limites des trois nouveaux gouvernements ci-dessus mentionnées, ou dans celles des terres accordées à la compagnie de la Baie d’Hudson, comme aussi toutes les terres & territoires qui se trouvent au Ouest des sources des Rivières qui se jetent dans la Mer depuis le Ouest au Nord Ouest, comme il est mentionné ci-dessus; et nous défendons aussi expressément sous peine d’encourir notre déplaisir, à tous nos fidèles sujets, d’acheter, cultiver, ou prendre possession d’aucune des terres ci-dessus réservées, sans avoir premièrement obtenu notre permission à ce sujet. »

Selon l’historien Marcel Trudel, la Proclamation royale n’a pas transformé de façon considérable le mode de vie des Canadiennes et des Canadiens :

« […] même greffée à une toute petite minorité anglaise, la société était demeurée foncièrement inchangée, conforme à celle du Régime français et sans autres voix officielles que celles des seigneurs et du clergé. La libre possession des biens que lui assurent les traités comprenait le maintien du régime seigneurial […] »

Certes, les colons francophones ne peuvent plus accéder à des postes de la fonction publique sans renoncer à leur religion (une mesure qui sera annulée en 1774 par l’Acte de Québec), mais les politiques assimilatrices britanniques sont rapidement abandonnées, car elles provoquent des conflits avec le clergé canadien. D’ailleurs, en 1793 à Québec, dans la chapelle de l’ancien palais épiscopal, le parlement créé par l’Acte constitutionnel de 1791 se réunit afin de débattre de la place de la langue française au sein de l’administration coloniale et décide que celle-ci sera officiellement en usage, conjointement avec l’anglais, pour les débats du parlement, pour les communications de l’État et la rédaction des lois.

Traitement de la situation des Autochtones dans les livres d’histoire

Dans les ouvrages abordant les lendemains de la Conquête, le traitement de la situation des Autochtones semble relégué au second plan. En effet, l’attention est portée essentiellement sur les conséquences vécues par les Canadiens. Toutefois, l’arrivée des Britanniques entraîne aussi son lot d’effets pour les peuples autochtones occupant le territoire. Entre autres, le développement de certaines industries, telles que le commerce du bois avec la Grande-Bretagne, crée une pression importante sur les territoires de chasse traditionnels des Premières Nations de la vallée du Saint-Laurent, et les force à modifier leur mode de vie.

Démographie autochtone

Les Premières Nations ont vu leur nombre décroître de manière significative à la suite de leurs contacts avec les Européens. La chute démographique des populations autochtones se chiffre à environ 90 %. Au Bas-Saint-Laurent, on ne connaît pas l’impact exact des épidémies sur la démographie autochtone.

En plus de l’important choc microbien que les peuples autochtones ont dû affronter au contact des Européens, les guerres, voire l’esclavagisme, contribuent à cette chute démographique.

Épidémies

L’impact le plus important que subissent les Premières Nations avec le développement du commerce des fourrures est celui des épidémies qu’apportent les colonisateurs français. Dans la vallée du Saint-Laurent, les populations algonquiennes sont touchées par ces maladies dès les années 1630, si bien que la population globale chute rapidement.

Les Autochtones, en effet, ne sont pas immunisés contre plusieurs maladies auxquelles les Européens se sont habitués depuis des millénaires, telles que la variole, la petite vérole, la grippe ou le typhus. Ainsi, lorsqu’une épidémie se déclare dans leurs communautés (généralement à la suite du contact avec un Européen infecté), le nombre de décès peut être extrêmement élevé : parfois, c’est près de 25 à 30 % d’une communauté qui meurt en une seule année des suites d’une épidémie. Ceci incitera d’ailleurs les Français à rechercher de nouveaux alliés commerciaux pour s’approvisionner en fourrures et à s’aventurer toujours plus loin vers l’ouest et vers le nord, notamment dans la région des Grands Lacs et du Mississippi, de même qu’à la baie d’Hudson.

Guerres, alliances et esclavagisme

Dès leur arrivée sur le continent, les puissances européennes y ont transporté les luttes qui les opposent en Europe. Par leurs possessions coloniales, elles cherchent à accroître leur pouvoir et à limiter celui de leurs ennemis, si bien que les affrontements sont fréquents.

En Amérique, chaque puissance développe des alliances avec des partenaires autochtones qui sont alors entraînés dans des conflits qui exacerbent les tensions existantes. La capture d’ennemis vaincus, qui seront en partie intégrés au sein de la communauté, est une pratique traditionnelle parmi la plupart des Premières Nations de l’Amérique du Nord. Avec le développement des conflits intercoloniaux, cette pratique se transforme et les captifs autochtones sont désormais plus souvent réduits à l’esclavage et échangés aux Français contre de l’argent ou des biens.

La lecture de nombreux actes notariés des 17e et 18e siècles permet de révéler les traces de ventes d’Autochtones comme esclaves au profit de nantis de l’époque. L’historien Marcel Trudel établit à 4000 le nombre d’esclaves en Nouvelle-France, dont les deux tiers seraient des Autochtones et l’autre tiers des Noirs. La présence de ces esclaves se situe principalement à Montréal et un peu à Québec. On ne trouve pas d’écrit historique notant la présence d’esclaves au Bas-Saint-Laurent.

Le développement de l’arrière-pays et du littoral

En région, le clergé influence les habitants à suivre les voies de la religion catholique. Afin d’assurer le maintien d’une forte présence catholique, il incite les familles à accroître considérablement les naissances. Ainsi, on note que la population canadienne-française au Bas-Saint-Laurent se multiplie rapidement malgré la victoire anglaise à Québec. Cette situation entraîne une colonisation rapide du territoire à partir de la fin du 18e siècle. Au départ, ce sont surtout les rives du Saint-Laurent qui intéressent les futurs propriétaires des seigneuries. Puis, lorsque certains, comme Charles Aubert de Lachenaye, constatent que l’intérieur des terres et le trafic des pelleteries peuvent devenir profitables, ils s’y installent.

Le Chemin français relie Rivière-du-Loup au lac Témiscouata et permet le développement commercial et les échanges avec les Autochtones, ainsi que la liaison entre l’Acadie et le Canada. Ce chemin, ouvert dans les années 1740 et qui n’a que trois pieds de large, deviendra une route de douze pieds et portera le nom de Chemin du Portage sous le régime britannique. Le long de ce chemin très fréquenté, des propriétaires construisent des maisons, défrichent et cultivent les terres.

Sur toute la zone du littoral, le peuplement continue à prendre de l’ampleur, bien qu’il demeure largement inférieur à celui qu’on observe en amont du fleuve. Vers la fin du 18e siècle, dans les seigneuries situées entre Kamouraska et Matane, on dénombre 1250 personnes, comparativement à 20 000 personnes seulement de Kamouraska à Beaumont.

Diversification économique

Aux environs de 1830, les terres libres entre les seigneuries se comblent rapidement, ce qui oblige les colons à monter dans les terres et à ouvrir un deuxième, troisième et parfois même un quatrième rang. C’est à ce moment que l’agriculture devient la principale source de subsistance des habitants et que la pêche devient une activité secondaire. La production agricole se diversifie, et les agriculteurs ajoutent la pomme de terre, les pois et le seigle aux autres produits en culture.

En 1854, une loi est adoptée par le parlement du Bas-Canada pour abolir le régime seigneurial. Cette loi permet aux censitaires de racheter leurs droits sur les terres aux seigneurs. Il faut cependant attendre jusque dans la seconde moitié du 20e siècle pour que disparaissent les derniers vestiges de cette institution qui a profondément marqué la société québécoise traditionnelle.

L’exploitation des ressources s’intensifiant, les habitants se dotent d’outils plus performants qui nécessitent de l’entretien et des réparations. Les villages accueillent de plus en plus d’habitants qui doivent construire des maisons et autres bâtiments agricoles ou commerciaux. Ainsi on fait appel à des charpentiers, des menuisiers et des forgerons, qui offrent des services spécialisés.

Les actes notariés nous permettent de connaître les différents métiers pratiqués à l’époque dans la région du Bas-Saint-Laurent, de même que les techniques et les matériaux utilisés. Ce contrat d’engagement de 1867, par exemple, nous apprend que les cultivateurs Olivier, Michel et André Dechamplain de Sainte-Luce, qui pratiquaient aussi le métier de charpentier, se sont engagés à construire pour le navigateur Daniel Chouinard « une goélette de 67 pieds [20,4 mètres] de quille, 22 pieds [6,7 mètres] de largeur & 9 pieds [2,7 mètres] de calle ».

« Les sieurs Deschamplain promettent [...] de faire les ouvrages suivants : [...] les fonds bordés en merisier au dessus des échouages, en épinettes grises & blanches saines, les parcintes en épinette rouge, le plafond en pin, les semelles du guindeau & des mâts en épinette rouge & pour le pont de l’épinette blanche & grise, la poupe en pin; toute la menuiserie semblable à celle du Sr. Xavier Dérosier, de verloper la dite goélette depuis les échouages en montant, pavois, lices & les hauts de ladite goélette; [...] le grand booms de 50 pieds de longueur et les autres booms à proportion d’icelui; le mat d’hune de 38 pieds de longueur, 4 bristouques en avant & 2 autres en arrière & le courbage suivant le goût du charpentier avec les courbes nécessaires; le bois pour la charpente à la demande du charpentier; faire toutes les têtes du clinechage; faire scier tous les bois ou autrement à la demande du charpentier qu’ils devront fournir à leurs dépens [...] et de la lancer prête à recevoir ses gréements à l’Ance aux Coqs à la 1e grande marée du mois d’août prochain & la chambre sera parachevée que l’année prochaine si ledit sieur. Chouinard le préfère; de faire une gallée de proportion & toutes les autres ouvrages nécessaires à ladite goélette, suivant les règles de la charpenterie & menuiserie [...] Chouinard promet de fournir aux entrepreneurs tous les fers, clous, pièces, carvelles & autres fers nécessaires, peintures, étoupes & autre fournitures nécessaires à ladite goélette qu’il s’oblige de faire calfaiter, mastiquer, peinturer & calletorer à ses dépens [...] pour 350 Louis [...]

Fait et passé à Ste-Luce, demeure desdits Michel et André Déchamplain [...] en présence de Pierre Faucher forgeron dudit lieu de Ste-Luce... »

(Engagement d’Olivier Dechamplain, Michel Dechamplain et André Dechamplain, auprès de Daniel Chouinard, 29 janvier 1867, greffe du notaire Joseph Garon)

Références

DIONNE, Lynda et Georges PELLETIER. Des forêts et des hommes, 1880-1982 : Photographies du Québec. Les Publications du Québec, Archives nationales du Québec, 1997.

GEORGE III. « Proclamation royale de 1763 », dans Arthur G. Doughty (dir.), Report of the Public Archives for the Year 1918, Ottawa, Imprimeur du Roi, 1920, Appendice B, p. 322 à 329.

LAMBERT, Serge et Jean-Claude DUPONT. Les voies du passé, 1870-1965 : Les transports au Québec. Les Publications du Québec, Archives nationales du Québec, 1997.

LECLERC, Paul-André et Jacques SAINT-PIERRE. La vie rurale : 1866-1953. Les Publications du Québec, Archives nationales du Québec, 2001.

RURALYS. « La conservation intégrée du patrimoine archéologique euroquébécois dans le développement régional : Le territoire du Bas-Saint-Laurent », Québec, ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine du Québec, décembre 2007.

TRUDEL, Marcel. Mythes et réalités dans l’histoire du Québec, tome 3, Montréal, Bibliothèque québécoise, 2018.

Illustration : Chapitre 8